Lamarck
Il en va des œuvres comme des espèces :
elles apparaissent à point nommé pour occuper une "niche
écologique" provisoirement vide; puis certaines prennent une telle
importance qu'elles envahissent le milieu tout entier. L'idée d'évolution
était "dans l'air" à la fin du XVIIIe siècle : il allait
appartenir à Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, d'en exposer, selon
le mot de Jean Rostand, "la première théorie positive", et de
déclencher la plus formidable bataille de toute l'histoire de la biologie.
Violemment critiqué par Cuvier, quatre fois veuf, le
fondateur du transformisme n'eut pas une vie facile. Devenu pratiquement aveugle
par l'usage trop fréquent de la loupe et du microscope, Lamarck poursuivit ses
travaux qui restèrent méconnus de son temps.
Lamarck s'essaie en vain à la prêtrise, puis au métier des
armes, avant de tout donner à l'histoire naturelle. Sa Flore française,
dans laquelle il utilise pour la première fois les fameuses "clefs
dichotomiques", chères au cœur des botanistes, paraît en 1778, et lui
vaut d'entrer à l'Académie des Sciences. Suivent une Encyclopédie
botanique et une Illustration des genres (1783-1817) : mais c'est en
1793 - date charnière à tous égards - que Daubenton lui offre la chaire (à
peine créée) des "Animaux sans vertèbres".
Lamarck devient zoologiste, et célèbre : au Système des
animaux sans vertèbres (1801), s'ajoutent des Recherches sur les êtres
vivants (1802), une Hydrologie (1802), une Philosophie zoologique
(1809), une Histoire naturelle des animaux sans vertèbres (1815-1822),
enfin un Système analytique des connaissances de l'homme (1820).
Ce qu'on appelle lamarckisme est tout entier contenu dans la Philosophie
zoologique. Lamarck part de concert, de l'extraordinaire difficulté qu'il
éprouve à classer les collections d'invertébrés au Muséum d'histoire
naturelle. Il lui faut un plan : ce sera le "transformisme", théorie
selon laquelle les espèces dérivent naturellement les unes des autres.
Les êtres vivants les plus primitifs (infusoires), apparus
sur la Terre par génération spontanée, ont donné naissance à d'innombrables
complications jusqu'aux mammifères inclus. L'une des étapes décisive de cette
"montée" vers les primates, a été l'acquisition d'un système
nerveux permettant l'irritabilité, puis la volonté.
Le processus même du perfectionnement des lignées reste
plus obscur : Lamarck évoque de mystérieux "fluides internes" qui,
sous certaines conditions, seraient capables d'induire la formation d'organes
inédits. La théorie transformiste est plus loquace lorsqu'il s'agit de cerner
les "causes générales" de l'activation des "fluides
internes"; il en existe deux, l'une que l'on a oubliée délibérément
quand on a voulu caricaturer Lamarck ("la tendance primitive de la matière
vivante au perfectionnement"); l'autre que l'on rappelle à tout propos :
l'influence du milieu et l'hérédité des caractères acquis.
"La fonction crée l'organe" : si l'animal ou le
végétal, par le mode de vie qu'il mène, a besoin d'un nouveau dispositif
anatomique, celui-ci ne tarde pas à apparaître; ainsi les oiseaux aquatiques
ont développé des pattes palmées à force de frapper l'eau, les échassiers
des pattes interminable pour ne plus s'enfoncer dans la boue, et la girafe un
cou démesuré pour brouter la cime des arbres... A l'inverse, un organe devenu
inutile régresse : les membres des cétacés raccourcissent, l'œil de la taupe
s'atrophie, les serpents perdent leurs pattes, etc.
Le destin du transformisme a été, pour le moins, heurté et
indécis. Il a reçu un démenti avec le darwinisme, qui récuse à juste titre
l'hérédité des caractères acquis, et met au premier rang des déterminismes
évolutionnistes, la "pression de sélection" qu'exerce la lutte pour
la vie.
Cependant, après une fausse réapparition sous le masque du
soviétique Lyssenko, la théorie de Lamarck entreprend un retour remarqué, non
plus comme une théorie de l'influence directe du milieu, mais bien comme
analyse affinée des "fluides internes", de la tendance spontanée de
la matière vivante à l'organisation, en somme, de la "prédisposition à
l'évolution".
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