Mandarins chinois
En Chine, un système social s'est développé de façon
très distincte de celui de la civilisation indienne ou occidentale. La direction
y est assurée non par les guerriers, mais par les lettrés ou "gardiens du
langage" (au sens strict : ceux qui savent lire et écrire).
Soucieux de la tradition et respectueux de la hiérarchie,
le mandarin devait obéissance et fidélité à l'empereur.
La complexité de l'écriture, -près de 40 000 idéogrammes pour
la langue littéraire-, explique sans doute le rôle considérable de ces lettrés,
qui constituèrent longtemps un groupe particulier, intellectuels errants qui
allaient d'Etat en Etat monnayer leurs réflexions et conseils. A la fin du IIIe
siècle av. J.-C., ils furent pourchassés, car on les accusait d'entretenir des
idées conservatrices; on détruisit leurs livres, sauf les œuvres "utiles"
(médecine, agriculture).
Les empereurs Han (fin du IIIe siècle av.
J.-C.-début du IIIe siècle ap. J.-C.) cherchèrent à utiliser leur
science. Ils les enrôlèrent comme fonctionnaires, la nécessité d'une
organisation bureaucratique se faisant sentir avec l'extension de l'empire. Les
lettrés devaient obéissance et fidélité à l'empereur; leur soumission fut
renforcée par la diffusion de l'idéal confucéen de respect des traditions et de
la hiérarchie. Ainsi s'est constitué ce corps de lettrés-fonctionnaires qu'on
appela les mandarins.
Détenant le savoir, ils exercent l'autorité déléguée par
l'empereur. Ils s'emploient dès lors à conserver cette suprématie et instaurent
un conservatisme rigoureux au sein de la société chinoise. Ce système original
s'est perpétué en Chine jusqu'à l'époque moderne.
Le recrutement des mandarins est en principe démocratique.
Ils sont choisis à la suite de concours d'un haut niveau littéraire, tous les
trois ans. Les copies sont anonymes, et subissent une double correction. La
réussite ne donne que le droit de se porter candidat à un poste. En revanche,
une fois en fonction, la carrière est assurée à vie. Chaque fonctionnaire est
contrôlé, noté par ses supérieurs. Il est jugé d'après ses qualités personnelles
et professionnelles.
Un grand respect, qu'il devait à son
savoir, entourait le mandarin lors de ses déplacements. Partout où il passait,
il trouvait un accueil favorable auprès des notables de la province.
Les fonctionnaires occupent tous les hauts postes de
l'administration centrale et provinciale. Le mandarinat groupa, au XIe
siècle, environ 18 700 personnes. Leur retraite intervient vers 68 ans. En fait,
ils sont recrutés surtout parmi les riches. Profitant de leurs charges pour
s'enrichir encore plus, ils acquièrent des terres et forment de grandes familles
à la tête de vastes domaines fonciers. Cette noblesse, strictement hiérarchisée,
porte des titres honorifiques tels que "Ancienne porte", "Porte nouvelle".
Vers le XIIe siècle, sous les Song, le mandarinat
a beaucoup évolué. La recommandation prend une telle importance que même les
empereurs y ont recours, multipliant titres et charges publiques, pour remplir
leur caisse, face à un mandarinat qui développe de plus en plus un esprit de
caste. Les mandarins parlent le même langage, ont la même culture, bénéficient
des mêmes privilèges. Ils sont unis par une étroite solidarité que l'on retrouve
dans la vie quotidienne.
Cependant, leur apport dans la civilisation chinoise est
capital. Ils rédigent un grand nombre d'ouvrages : manuels philosophiques,
contes, poèmes... Mais cette production raffinée est réservée aux seuls initiés
: eux-mêmes. Soucieux de maintenir leur supériorité intellectuelle, utilisant
une écriture savante, ils méprisent la littérature populaire (théâtre, roman).
Dans les autres domaines artistiques également, deux cultures
se côtoient jusqu'en 1917 : la culture populaire et l'aristocratique, toujours
opposées. Défenseurs de l'autorité impériale et de l'ordre établi, hostiles, par
formation et par goût, aux nouveautés quelles qu'elles soient, les mandarins ont
maintenu un conformisme rigide et constitué un frein à l'évolution de la Chine.
Du système des examens à la culture de caste, le mandarinat a constitué un
modèle de civilisation qui pourrait servir de pierre de touche à certaines de
nos institutions.
|