Empire latin d'Orient
En 1204, lors de la IVe croisade, l'Empire
byzantin est occupé par des chrétiens d'Europe occidentale qui créent, ainsi,
jusqu'en 1261, un éphémère Empire latin d'Orient. Les croisades, ces
"pèlerinages armés", témoignent de la vitalité d'un Occident en pleine expansion
démographique, et de l'ardeur impétueuse d'une foi intolérante.
Mais le fanatisme des croisés les conduisit aussi à des
massacres, dont le plus célèbre fut celui perpétré après la crise de Jérusalem,
but de la première croisade. Les croisades suivantes ne furent que des
expéditions de secours, organisées pour venir en aide aux Etats francs de
Palestine et de Syrie, menacés par les musulmans désireux de les reconquérir.
Très vite, les préoccupations religieuses cédèrent la place à
l'appétit de conquête, aux intérêts commerciaux. En outre, et paradoxalement,
les croisades ne firent qu'élargir le fossé qui séparait les deux parties de la
chrétienté : l'Empire byzantin et l'Europe occidentale, dont le pape et
l'empereur se disputaient la domination.
Le schisme, c'est-à-dire la séparation religieuse de 1054, a
révélé l'importance des divergences religieuses, aussi bien théologiques que
pratiques, et renforcé l'antagonisme des deux communautés chrétiennes. Certes,
les Etats francs d'Orient ont admis la suzeraineté byzantine; mais les croisés
n'ont-ils pas supplanté Byzance dans son rôle traditionnel de rempart du monde
chrétien, face aux infidèles et aux barbares?
Déjà en 1098, les Croisés, s'emparant d'Antioche après un
siège de huit mois, y avaient fondé un éphémère Empire latin d'Orient.
Pour les Byzantins, les Occidentaux étaient des "barbares",
des parvenus méprisables, mais dangereux. Ceux-ci tenaient les Byzantins pour
indignes d'un luxe qu'ils convoitaient. Les Byzantins furent scandalisés de voir
des clercs participer à ces expéditions militaires. Le peuple, volontiers
xénophobe, supportait mal la présence des marchands italiens accueillis par les
empereurs. De telles explosions de colère furent sans doute à l'origine du
massacre des marchands (fin XIIe siècle).
Les rois normands de Sicile, qui avaient des prétentions sur
l'Empire byzantin, réussirent, en 1185, à s'emparer de Thessalonique. Quant à
l'empereur Henri VI, roi de Sicile par son mariage, il préparait un nouvel
assaut contre Byzance, quand il mourut, en 1187.
C'est dans cette situation de tension et de rivalité que le
pape Innocent III - il entend diriger la chrétienté- prêche la IVe
croisade en 1198, pour envoyer des renforts aux Etats latins d'Orient affaiblis.
Il partage les craintes de Byzance devant les ambitions de l'empereur, et
souhaite ardemment l'union des Eglises. La IVe croisade verra
l'effondrement de tous ses espoirs.
En 1201, une délégation de croisés se rend à Venise pour
négocier le transport d'une armée en Egypte, centre de la puissance musulmane.
L'expérience a montré la difficulté des expéditions terrestres. Venise exige
d'être associée à la croisade sur un pied d'égalité et de recevoir la moitié de
tout ce qui pourra être conquis.
En juin 1202, à la date fixée, les croisés, seigneurs et
chevaliers venus surtout du nord de la France, réunis à Venise, sont moins
nombreux que prévu. Ils ne peuvent donc verser les 85 000 marks d'argent exigés
pour la traversée. Ils acceptent alors d'aider Venise à reconquérir le port
chrétien de Zara, sur la côte dalmate. Là, ils reçoivent des propositions
séduisantes de la part du fils de l'empereur détrôné de Byzance. Il s'agit, pour
les croisés - certains, indignés, gagneront la Syrie par leurs propres moyens -
de l'aider à reconquérir son trône contre des compensations financières, l'union
des Eglises, et une aide militaire.
Malgré l'interdiction du pape, les croisés arrivent à Byzance
en juillet 1203. Le peuple, spontanément, se révolte contre l'usurpateur. Les
croisés s'installent, mais le nouvel empereur Alexis est incapable de régler les
dettes des croisés, impuissant à imposer l'union des Eglises.
Bien plus, un parti antilatin se forme et la révolution
éclate. La ville est prise d'assaut le 12 avril 1204 par les croisés, qui se
livrent au plus grand pillage que connut le Moyen-Age, mettant à sac la première
ville de la chrétienté, sans doute la plus riche du monde. Les destructions
s'avéreront irréparables; les objets du culte eux-mêmes ne sont pas épargnés.
L'Empire byzantin fut démembré et divisé en Etats féodaux. Le
comte Baudouin IX de Flandre, élu empereur et sacré à Sainte-Sophie, obtint la
ville de Byzance - ou Constantinople -, la Thrace ainsi que l'Asie Mineure, où
s'était replié l'Empire byzantin. Boniface de Montserrat, chef de la croisade,
qui aurait eu, dès 1201, des entretiens secrets avec Alexis, reçut le royaume de
Thessalonique.
Le reste fut divisé en fiefs répartis entre les croisés et
Venise. La principauté de Morée, nom donné par les Francs au Péloponnèse, fit
fondée par des seigneurs champenois, principalement Geoffroy de Villehardouin,
neveu du chroniqueur de la IVe croisade. Le duché d'Athènes fut
attribué à un baron comtois.
L'Empire latin d'Orient reçut un éclat passager grâce à
l'action d'un homme supérieur, Henri de Hainaut, frère et successeur de Baudouin
IX de Flandre. Il refoula les Bulgares, conquit le littoral de l'Asie Mineure,
protégea l'Eglise grecque que le légat du pape avait entrepris de soumettre avec
rigueur et maladresse. A sa mort, en 1216, s'accéléra le déclin de l'Empire,
condamné dès l'origine : il n'avait ni les effectifs suffisants, ni la
supériorité culturelle nécessaire à sa perpétuation.
Il est menacé par les Etats grecs qui se sont maintenus à
l'ouest de la Grèce, en Epire et en Asie Mineure, où l'Empire de Nicée continue
les traditions de l'Empire byzantin - le patriarche de Constantinople s'y est
réfugié- et d'où part la reconquête, facilitée par l'alliance avec les Bulgares.
Dès 1224, l'Empire latin se réduit à Constantinople et ses
environs. En 1235-1236, l'intervention du vieux roi de Jérusalem, Jean de
Brienne, octogénaire, modèle du chevalier, sauve momentanément Constantinople,
qui est prise en 1261, grâce à l'appui des Génois. Seuls subsistent les Etats
francs de Grèce.
La création de l'Empire latin d'Orient, en privant les Etats
francs de Syrie de tout secours, a précipité leur disparition à la fin du
siècle. La soumission forcée à l'Eglise de Rome a provoqué chez les Byzantins
une rancune profonde, rendant ainsi définitive la séparation religieuse de
l'Orient et de l'Occident; de là aussi le discrédit où tomba, en Occident,
l'idée même de croisade.
L'Empire byzantin sortit définitivement affaibli de cette
épreuve, et incapable de s'opposer à la poussée ottomane. La création de
l'Empire latin d'Orient, cet "acte de brigandage international" fut un malheur
européen.
Véritables bénéficiaires de cette aventure, les Vénitiens
créèrent un empire colonial qui leur assura l'hégémonie commerciale sur toutes
les îles de la mer Egée, ainsi qu'en mer Noire, en Crète, en Morée, où ils
avaient installé colonies et comptoirs. En 1217, ils signaient un traité de
commerce avec l'Egypte; en 1219, avec Nicée et avec les Seldjoukides.
L'Empire latin d'Orient intéresse surtout l'histoire
économique; il révèle la puissance des républiques marchandes italiennes et de
l'impérialisme.
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