Corsaires et guerre de course
Un corsaire - de l'italien corsa, course - est un
bâtiment armé en guerre par des particuliers, munis d'une autorisation spéciale
du gouvernement pour faire la chasse aux vaisseaux d'un pays ennemi et
interrompre ainsi leur négoce et leur navigation. Cette autorisation royale,
seulement donnée en temps de guerre, distingue du pirate le corsaire. Par
extension, sont dits corsaires le capitaine et les matelots de ce navire. Nuire
le plus possible au commerce maritime d'un pays adverse est donc le but que se
propose la guerre de course.
La course est née de la piraterie : dans l'Antiquité et au
Moyen Age, la faiblesse ou l'absence totale des armées de mer obligeaient chacun
à ne compter que sur soi-même pour se défendre. A cette époque, il n'y avait pas
de limites distinctes entre course et piraterie, sinon que les corsaires ne
pillaient pas les navires battant le pavillon de leur pays d'origine. Des règles
furent progressivement édictées sur le droit des prises maritimes; ainsi, en
1373, tout corsaire devait se munir d'une autorisation de l'Amirauté pour
"courir sus aux ennemis".
Au cours du XVIe siècle, le rôle des bâtiments
français de course (ou capres) s'intensifia. Postées aux Açores et au cap
Saint-Vincent, les caravelles d'Ango (armateur dieppois) guettaient l'arrivée
des galions espagnols chargés d'or revenant d'Amérique et réussissaient à
intercepter les trésors du Mexique envoyés par Hernan Cortés à Charles Quint.
Les corsaires anglais n'étaient pas en reste, et la reine Elisabeth soutint
Raleigh, Hawkins et Drake, hardis navigateurs, qui participèrent à la défaite de
"l'Invincible Armada" (1588) et pourchassèrent les riches navires espagnols.
Au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, la
course connut son apogée et les exploits de Jean Bart, de Duguay-Trouin, de
Forbin, sont restés célèbres. Les grands ports de course étaient Dunkerque,
Calais, Boulogne, Saint-Malo, Bayonne, Marseille. Bristol, Liverpool en
Angleterre et les îles anglo-normandes, Jersey et Guernesey servirent aussi de
refuge à ces hardis marins. Le XVIIIe siècle voit le déclin des
activités corsaires françaises, malgré la renommée de François Thurot pendant la
guerre de Sept Ans. L'esprit d'offensive diminue et les armateurs montrent moins
d'empressement à "armer en course". A la même époque, la marine de guerre
anglaise se renforce au détriment des capres. Cette décadence se poursuit en
France pendant la Révolution, malgré les brillants exploits de Surcouf, et sous
l'Empire. La guerre de course s'achève en France le 8 juillet 1815, en même
temps que les hostilités contre l'Angleterre. C'est seulement au congrès de
Paris, en 1856, qu'elle est officiellement abolie; seuls, les Etats-Unis,
l'Espagne et le Mexique refusent de prendre un engagement à ce sujet.
La forme des corsaires a beaucoup évolué au cours des
siècles. Les naves des Xe et XIe siècles ont fait place
aux caravelles, du Xe au XIVe siècles; et enfin aux XVIIe
et XVIIIe siècles, frégates, brigantins, dogres, goélettes font leur
apparition. Ces navires sont équipés d'un équipage nombreux; l'armement se
compose de canons, de pierriers (petites bouches à feu), de fusils, de haches
d'abordage, de piques, de grenades et de coutelas. La discipline à bord est
particulièrement sévère et entraîne souvent rébellions et mutineries.
Le navire ainsi armé et équipé peut commencer sa campagne.
Les corsaires croisent dans les mers les plus fréquentées par les bateaux de
commerce ennemis; les lunettes sont braquées vers l'horizon et, dès qu'une voile
se dessine dans le lointain, se pose aussitôt la question: bâtiment ami ou
ennemi? Le corsaire, pour l'inviter à s'arrêter, tire un coup de canon à blanc
(coup de semonce). Si le bateau prend la fuite, quelque soit sa nationalité, il
est "de bonne prise".
Le plus bel exploit de Surcouf fut la prise du Kent
par le Confiance. Ce jour-là, 150 corsaires et 18 canons se rendirent
maîtres de 500 matelots et 38 canons anglais de la Compagnie des Indes
Orientales.
Lorsqu'au bout d'une poursuite acharnée, il est rejoint mais
refuse de se rendre, on en vient à l'abordage, souvent très meurtrier. Le
corsaire ne doit pas relâcher ou couler sa capture. Elle doit être ramenée
intacte pour que chacun des intéressés, aussi bien l'armateur que l'équipage,
ait sa part de butin. Les prisonniers éventuels et tous les papiers de bord du
navire arraisonné doivent servir de preuves. Le vainqueur fait passer à son bord
le capitaine et les principaux matelots; la prise doit être, en principe,
conduite au port d'armement du corsaire, sauf en cas de tempête ou de poursuite.
Arrivés à quai, les corsaires rapportent la date et les
circonstances exactes de la capture aux officiers d'Amirauté qui interrogent les
prisonniers et recherchent s'il n'y a pas trace de pillage. L'instruction
terminée, la procédure est envoyée au Conseil des Prises à Paris.
Etabli au début de chaque guerre, il décide à qui le navire doit être attribué
(le plus souvent au corsaire preneur). Si la prise a été faite indûment, elle
est main-levée et restituée à son propriétaire. En cas de
"bonne-prise", le bâtiment et sa cargaison sont vendus aux enchères et l'argent
obtenu réparti entre les intéressés, après déduction de divers droits : les deux
tiers du butin reviennent à l'armateur du corsaire et un tiers à son équipage.
La guerre de course était-elle une activité rentable?
Certainement, si l'on en croit les chiffres : à Dunkerque, le plus grand port
corsaire français, les prises et leur liquidation ont rapporté, pour la guerre
de la Ligue d'Ausbourg (1688-1697), 167 000 livres, soit environ 22 millions et
demi de nos francs actuels; pour celle de la Succession d'Espagne (1702-1712)
500 000 livres de produit net (le produit brut dépasse 82 millions) pour 1 614
prises et rançons. Durant la guerre de Succession d'Autriche (1744-1748), les
corsaires français et espagnols capturèrent 3 238 bâtiments de commerce ennemis
tandis que les Anglais se rendirent maîtres de 2 385 navires français et
espagnols (en tout pour 18 750 000 livres sterling). De 1793 à 1815, les
français s'emparèrent de 10 871 vaisseaux marchands, ce qui n'empêcha pas
l'Angleterre de devenir la première puissance maritime mondiale.
Auxiliaires de l'Etat en cas de guerre maritime, les
corsaires ont ainsi pallié la déficience de la marine de guerre. La vaillance,
l'audace, l'individualisme, convenaient parfaitement à cette guerre faite de
ruses et d'escarmouches. La guerre de course a sans doute enrichi quelques gros
armateurs, mais rarement les équipages de ces navires qui risquaient chaque jour
leur vie à cette guerre sur les mers. Que de faillites pour de riches captures!
Après avoir joui de la considération de tous, les capres s'attaquèrent aux
non-combattants, se rendirent impopulaires, et, avec eux, la guerre de course.
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